Echirolles - Cité Viscose (1/2) : une cité jardin ouvrière
Echirolles au début du XXème siècle
Avec ses quelques 800 habitants dans les années 1920, Echirolles demeure une commune rurale. Elle est concentrée sur son activité traditionnelle : la culture des mûriers destinée à l’élevage des vers à soie.
Echirolles n’est pas encore la banlieue de Grenoble que l’on connait aujourd’hui. La ville centre est encore enserrée dans ses remparts, devenus les grands boulevards et la vie échirolloise est concentré dans la partie « village », le reste étant constitués de champs.
Le microcosme local reste une société rurale traditionnelle et le pouvoir politique local appartient au monde paysan des cultivateurs.
Echirolles
1- Au début du XXème siècle
2- Avant guerre; la cité est en fond d'image
3- Depuis les berges du Drac (Au 1er plan la cité de la Viscose) entre 1940 et 1945
Evolution d'Echirolles entre 1927 et 1981
Démarrage de l’usine Viscose
En 1925, la famille lyonnaise Gillet se trouve à la tête d'un empire industriel lié au textile et à la chimie. Elle fonde la Société Nationale de la Viscose (SNV) et fait construire une usine à Grenoble, en pleine campagne à l’époque, à proximité du Drac.
Sur les communes de Grenoble et Echirolles, elle achète un domaine de 120 hectares dont 13Ha pour l’usine et 17 Ha pour deux cités ouvrières. Elle choisit ce site pour bénéficier de potentiel hydroélectrique de la région et du charbon du bassin minier de La Mure. Elle fait relier l’usine au complexe industriel du quartier Berriat par voie ferrée.
Installation de la cité Viscose 1927- 1940
L’installation de la cité viscose sur la commune va sensiblement augmenter la population d’Echirolles. De 838 habitants en 1926, elle passe à 2 520 cinq ans plus tard. Les habitants de la cité forment 62% de la population totale. Cette dernière abrite en 1931 une population étrangère à 90% qui comprend 13 nationalités différentes.
La direction fait notamment venir de Hongrie une main-d’œuvre déjà formée aux métiers de la viscose car vingt ans auparavant, en 1904, le comte Hilaire de Chardonnet avait exploité à Sàrvàr (Hongrie), une usine de soie artificielle. Les hongrois constituent une part importante de la main d’œuvre qui démarre l’usine.
Ce microcosme cosmopolite (il y aura jusqu’à 40 nationalités différentes) va s’intégrer progressivement malgré les problèmes de cohabitations et de différences culturelles mais parce qu’il y avait une référence commune : l’usine. En 1936, le nombre de « français» atteint plus du tiers de la population de la cité suite aux naturalisations.
L’organisation de la vie dans la cité se structure autour d’une tutelle des habitants par la SNV d’une part, et d’autre part une marginalisation et un isolement vis-à-vis du reste de la commune d’Echirolles et de l’agglomération. L’accueil réservé par le reste de la population grenobloise n’incite pas à en sortir. « À Grenoble, la viscose avait mauvaise réputation, l’usine bonne pour la racaille, pour les étrangers,les sortis de taule » raconte un ouvrier. L’odeur d’ « oeuf pourri » de l’hydrogène sulfuré, qui colle à la peau des viscosiers en permanence, fait l’objet de railleries.
Cet état de fait durera jusqu’en 1940.
Durant la Seconde Guerre mondiale, l’usine est temporairement arrêtée, puis réquisitionnée par les Allemands. Son directeur, s’arrange pour faire grimper les effectifs à 2 200 personnes (1942), tant pour les besoins de la production…que pour faire échapper des jeunes gens au Service du Travail obligatoire (STO).
Petit à petit, différents groupes de résistants se forment dans l’usine et dans la cité voisine. Certains seront arrêtés, puis déportés. Cette résistance améliorera nettement l’image des viscosiers, qui se mélangeront progressivement au reste de la population grenobloise au cours des décennies suivantes.
Vie de la cité Viscose
Contrairement aux cités HBM de Grenoble, la gestion des appartements est directement assumée par la SNV. Les futurs locataires sont présélectionnés selon des critères définis par elle, puis ils sont répartis dans la cité en fonction de leur nationalité et de leur profession. La répartition des ménages est réalisée dans un désir de brassage et pour éviter les regroupements nationaux. Environ 2 à 4 nationalités cohabitent dans des maisons qui comptent en moyenne 5 logements.
En 1928, on dénombre 65 bâtiments soit 380 logements. Les maisons abritent en moyenne entre 4 et 16 appartements. Elles possèdent chacune une cave, un rez-de-chaussée et un étage. Elles sont équipées de l’eau courante et des toilettes mais les douches restent à l’usine. Le nombre de personnes par logement oscille entre 4,75 en 1931 et 4 en 1936. Chaque logement se voit attribuer un jardin familial situé en pied d’immeuble et en cœur d’îlot.
Le loyer est relativement faible. Enfin, beaucoup d’équipements sont sur place : lavoirs, commerces, école, une boulangerie, école, bibliothèque, crèche …et même une église (Saint Jean Bosco) à partir de 1942 et jusqu’en 1971. Chacun a accès à un service médico-social, une mutuelle et une société d’entraide Malgré la marginalisation de son site, le confort de cette cité contraste avec les conditions de vie de la population ouvrière à Grenoble qui s’entasse dans les quartiers insalubres du centre-ville.
Des terrains de sports et un étang destinés aux viscosiers sont situés entre l’usine et la cité. La politique paternaliste pratiquée par la SNV encourage le développement des activités sociales notamment les loisirs (pêche, colonies pour les enfants) et le sport à travers la création du club Navis, le club omnisport de la cité.
Mais ces conditions « idylliques » ne doivent pas masquer les inconvénients de cette vie ouvrière dans une cité gérée par un patron. La vie professionnelle et la vie privée sont très imbriquées car il n’existe pas de coupure franche entre la cité et l’usine. Les mauvaises conditions de travail (très forte humidité autour des machines, odeur d’œuf pourris omniprésente) et l’alcoolisme récurrent chez les ouvriers ne doivent pas être occultés même si ce ne sont pas les sujets dont se souviennent le plus les anciens viscosiers. Il est difficile d’éduquer les enfants quand les 2 parents travaillent.
Evolution de la cité
En 1944, les dirigeants communistes issus du monde ouvrier de la Viscose grâce à leurs actions de résistance contre l’occupant, s’emparent du pouvoir municipal à Echirolles. Ils seront confortés dans leurs positions dès les 1ères élections municipales libres en 1947 et leurs héritiers « communistes » conserveront le pouvoir jusqu ‘aujourdhui.
Au fil du temps, le poids de la cité dans la ville d’Echirolles ira en s’amenuisant. De 1700 habitants en 1930, leur nombre tombera à 1000 en 1982 sur plus de 35 000 habitants dans la ville (< 3%).
Le manque d’entretien, les finances de la SNV devenue Cellatex qui iront de mal en pis, les normes d’habitations au niveau isolation, électriques, huisserie et sanitaires devenues obsolètes face à la concurrence des nouveaux logements plus modernes , les jardins famillaux , passés de mode laissés à l’abandon ou cultivés de façon anarchique n’améliore pas l’image de la cité. Celle-ci n’est plus que l’ombre d’elle –même en 1983 lors de sa vente à l’OPAC.
La cité Viscose entre 1940 et 1950 (Clichés issus des archives de la SNV)
1- 2- 3- 4- Immeubles et maisons de la cité
5- Etang dans le site sportif ( aujourd-hui comblé)
6- groupe scolaire en 1940
La cité Viscose en 1970 avant sa réhabilitation
Evènements clés de la Viscose
1936 : Front populaire : grèves et naissance du syndicat CGT à la Viscose.
1944 : Prise de la mairie d’Echirolles par les leaders communistes de la Viscose emmené par Georges Kioulou, maire de la commune jusqu ‘en 1981.
1952 : Grève très dure et très longue (2 mois) à l’usine de Grenoble. Les relations ouvriers – direction seront altérées pour très longtemps surtout que la mairie d’Echirolles a attisé le feu au lieu de calmer les esprits
1968 : Evènements de mai. Les relations sociales s’amélioreront avec le temps.
1989 : (2 mars à 17H00) Fermeture définitive du site de Grenoble. Fin de la pollution du Drac et de l’odeur d’œuf pourri qui flottait dans l’air au Sud de Grenoble. Le site de l’usine, réhabilité prendra le nom de TechniSud.
La suite
Cité Viscose (2/2)
http://grenoble-cularo.over-blog.com/2015/03/echirolles-cite-viscose-2-2-renaissance-d-une-cite.htm
Cité Viscose de Grenoble : cite Beauvert
http://grenoble-cularo.over-blog.com/2015/02/cite-beauvert-ancienne-cite-viscose-de-grenoble.html