Le projet Villeneuve (1/5) : la ZUP (1960-1966)
C'est depuis le haut de la bastille, voire depuis le sommet du Néron ( si l'on est très courageux) que l'on possède la meilleure vue sur les différentes étapes de l'urbanisation de Grenoble. D'abord le cœur historique et ses vieux quartiers, puis les immeubles des grands boulevards et enfin le Sud avec son tissu urbain anarchique.
Au début du XXème siècle, un maire Paul Mistral et un urbaniste Léon Jaussely ont commencé le déverrouillage de la ville vers le Sud en faisant tomber les derniers remparts militaires (1925-1943).Leur plan comportait de nombreux volets comme le percement de nouveaux axes, la création d'espaces verts et d'une vaste zone industrielle au sud en vue d'arrêter l'expansion de la ville.
La Zup
Les années passent, d'autres urbanistes interviennent mais rien ne se bouge. En 1959, le docteur Albert Michallon ( UNR-Gaulliste) est élu maire de Grenoble.Il comprend que la ville a besoin d'un nouveau souffle urbanistique et veut transformer Grenoble en une grande métropole des Alpes.
L'arrété ministériel du 31 Décembre 1961 instituant une ZUP sur les communes de Grenoble et d'Echirolles marque le début du projet Villeneuve. La ville ayant connu une forte croissance demographique entre 1954 et 1962 (plus de 4,5% de croissance annuelle) , il manque cruellement de logements à Grenoble. De nombreux logements situés dans les vieux quartiers du centre ville et dans le quartier Berriat sont de véritables taudis. Plusieurs cités et grands ensembles HLM ont été créés depuis 1922 mais cela reste insuffisant à répondre à la demande de logements sociaux.
Le plan Bernard
L'architecte urbaniste Henry Bernard, premier grand prix de Rome est appelé par le docteur Michallon et début 1963, propose un plan de développement de la ville regroupant un ensemble d'objectifs à atteindre pour le long terme :
- suppression des obstacles qui entravent le développement de la ville (passages à niveau SNCF, terrains et casernes militaires et aéroport Mermoz)
- Mise en place d'un vaste réseau de voies d'accès (autoroutes de contournement, nouveaux ponts sur l'Isère et le Drac)
- une politique immobilière audacieuse (destruction des taudis, rénovation des quartiers anciens d'intérêt historique, construction d'une ville nouvelle sur les terrains de l'aéroport)
- poursuite accélérée de l'équipement sportif et socio-culturel (squares et jardins , parc de 100 Ha aux limites de la ville, 2 lacs artificiels, stades, piscines et terrains de sports)
- construction d'une nouvelle mairie, d'un palais des congrés, d'un conservatoire de musique, d'une nouvelle université.
- ouverture de nouvelles zones industrielles.
- L'agglomération grenobloise occupera toute la cuvette ( environ 100 Km2) pour échapper au « tricot serré » de la ville ancienne. Le nouveau centre de Grenoble sera situé entre les grands boulevards et les anciens terrains de l'aéroport et sera constitué d'une immense place piétonne (Place des états généraux)
Les J.O
Deux ZUP Grenoble (120 Ha ) et Echirolles (80 Ha) sont prévues. Rapidement, un premier secteur Malherbe , le plus proche du tissu urbain existant est détaché du projet.Parallèlement, à l'issue d'une longue bataille, Grenoble remporte, le 28 Janvier 1964 à Innsbruck (Autriche) l'organisation des Xème jeux olympiques d'hiver. Cette décision permet d'accélèrer la réalisation du projet. Le déclassement de l'aéroport Mermoz et quelques acquisitions foncières soudent les 2 ZUP en une seule de 330 Ha. Cette surface d'un seul tenant et disponible à la construction est la plus étendue de l'agglomération mais necessite de gros travaux d'assainissement. Elle se partage administrativement entre 3 communes (Grenoble, Echirolles et Eybens) , ce qui ne facilite pas les prises de décision.
Changement de municipalité
Mars 1965, le docteur Michallon est remercié par les électeurs et le nouveau maire est un ingénieur du CEA Hubert Dubedout (Gauche-socialiste).Pour la nouvelle municipalité , 2 options sont possibles: Renoncer au J. O, ou assumer l'héritage du docteur Michallon avec ses avantages et ses contraintes. C'est la 2ème solution que choisit H. Dubedout, Jean Verlhac(adjoint à l'urbanisme) et leur équipe . C'est aussi l'adoption définitive du « projet Villeneuve ».
3 voies différentes s'offrent alors au pouvoir municipal :
La première correspond à la partie ZUP du plan Bernard avec accueil d'un nouveau centre et construction d'un quartier de standing.
La seconde est un ensemble d'habitations indifférenciées relié à la ville existante.
La troisième, celle retenue, est un ensemble avec imbrication de l'habitat et des activités économiques couplés à un centre-relais pour le sud de Grenoble. La moité de l'habitat serait composé de 50% de logements sociaux.
Parallèlement, il faut régler le problème de l'accueil des équipes d'athlètes pour les J.O. Grâce aux moyens financiers exceptionnels mis à disposition par l 'enveloppe olympique, un quartier, le village olympique est construit en 1967 sur une partie des terrains de la ZUP.
Les principales idées du projet
L'élaboration de ce projet doit répondre aux problèmes de société qui se posent dèpuis le milieu des années 60.
Toute l'équipe ,des élus aux techniciens est idéologiquement homogène, très orientée à gauche, dans la ligne de la couleur politique de la municipalité.
Leurs objectifs consistent à créer la Villeneuve comme une vitrine de la municipalité et de chambouler les modèles dominants au travers d'idées fortes et innovantes. Dans le cadre de ce projet, cela tombe bien car l'on démarre d'une feuille blanche.
Un élégant pôle d’agglomération secondaire » (le « centre-relais ») dans la zone sud serait créé pour canaliser une expansion démographique atteignant plusieurs dizaines de milliers d' habitants.Il offrirait un cadre de vie agréable avec une facilité d'accès au travail et à tous les équipements publics et commerciaux (presqu'une ville dans la ville).
Le pari architectural irait à l' encontre de ce que faisait les architectes « classiques » partisans des rues bordées d'immeubles bien rangés ou les « modernes » partisans des tours et des barres en grands ensembles.
L'expérimentation pédagogique remettant en cause l'école traditionnelle, emmenerait la jeunesse vers une école combattant les injustices et formerait les masses populaires pour éviter la reproduction sociale « bourgeoise ».
La mixite sociale préconisée (les termes »mixité sociale » et « vivre ensemble » n'existaient pas en 1970) irait à l'encontre des politiques de ségrégation pratiquées dans les banlieues communistes principalement destinées à la classe ouvrière (lutte des classes et dictature du prolétariat) ou des zones résidentielles destinées aux classes moyennes ou supérieures (plutôt des fiefs de droite).
Le peuplement mélé entre français et immigrés permettrait de combattre la création d'ilots et de ghettos ethniques comme on en trouvait dans certains quartiers délabrés de Grenoble ( St Laurent, Trés-Cloitre,Rue Brocherie et Chenoise, Mutualité..) et d'éviter la création de nouveaux logements sociaux calqués sur les anciennes cités HLM (ouvriers et employés blancs en majorité).
La culture et la médecine ne devait plus être réservé aux privilégiés mais accessible à tous. Le slogan »changer la vie « traduisait la volonté de redécouvrir la vie communautaire en luttant contre les excés du capitalisme .
Bref, un petit bout de révolution tranquille …mais sans les camps de rééducations ni le goulag.