Le projet Villeneuve (4/5) :Villeneuve de Grenoble : entre rêve et réalité (1968-1983)
Et la Villeneuve fut....
En 1968,le projet retenu consiste alors à ériger une véritable ville dans la ville avec la disponibilité de tous les équipements sur place :écoles, centre de santé, garderies, commerces et divers autres ... Il prévoit de construire trois quartiers entourant un parc de 15 hectares ainsi qu'un centre-relais, qui deviendra par la suite un grand centre commercial (Grand'Place). La construction se développe en deux tranches distinctes, afin de permettre l’installation d’habitants dès l’achèvement de la première.
Le Quartier I, qui doit son nom « d’Arlequin » à ses façades colorées, est construit entre 1970 et 1972. Sa forme architecturale est résolument différente de ce qui existe à Grenoble. C'est une longue barre de 1,5 km, haute de 5 à 15 étages, qui zigzague (avec des angles à 60°) du nord au sud. Les immeubles sont construits sur piliers afin d' aménager en dessous la « rue piétonne », immense galerie couverte de 6 mètres de haut, réservée à la circulation piétonne , courant d’un bout à l’autre du quartier et abritant les entrées d’immeubles qui mélangent logements sociaux et accession à la propriété. Côté parc (sur son flan est), les équipements sont au pied des bâtiments. Côté rue (sur son flan ouest) se trouvent la voirie et les parkings-silo. A cela s'ajoute, de l’autre côté du parc, au nord-ouest, un ensemble de résidences (Résidence 2000, La Bruyère) dont la construction s’étale entre les années 70 et le début des années 90, exclusivement composées de logements privés et en accession à la propriété.
Le Quartier II, ou « quartier des Baladins », est construit entre 1975 et 1980. Il est conçu sur les bases des premières évaluations de l’Arlequin : coursives raccourcies, parking plus proches des logements (sous la dalle, à la place des silos). Évitant la forme de la muraille trop massive du Quartier I, il est moins haut, mais surélevé sur une dalle piétonne à 5 mètres du sol. Son parc immobilier est plus traditionnel, avec un rassemblement des types de logements en îlots. »
Le Quartier III ne sera jamais construit. La municipalité ayant changé de couleur politique ( passage de gauche à droite) arrête les frais.
Un projet intégral : principales orientations
Ce qui différencie la villeneuve des projets immobiliers classiques ,c'est une élaboration qui ne se limite pas au bati . Il intègre un certain nombre de nouveautés et il impacte divers aspects de la vie quotidienne : le social, le culturel et l'éducatif, résultats d'un réflexion politique très poussée.
De nombreuses innovations techniques sont utilisées lors de la construction de la Villeneuve.Pour l'architecture de l'Arlequin, une longue rue piétonne et couverte de 1,5 km serpente sous une barre de 2300 logements afin de faciliter les rencontres et les contacts. Sous cette rue, une galerie technique regroupe cables de téléphones,égouts, eau, électricité, collecte pneumatique des ordures.Le quartier est cablé pour recevoir la TV et il y a aussi un studio d'enregistrements d'emissions TV. Les voitures sont parquées dans des silos aux bordures du quartier. Les immeubles donnent directement dans un immense parc sans croiser un véhicule. Il possède une rareté pour l'époque,l'arrosage automatique commandé à distance.Des passerelles communiquant avec Grand-Place, les quartiers mitoyens et le Cargo (maison de la culture), rendent l'ensemble accessible aux fauteuils roulants.
La mixité sociale est au cœur du projet de la Villeneuve. Plus de la moitié des logements sont des logements sociaux. L’idée motrice est que cadres et ouvriers puissent « vivre-ensemble » partager le même mode de vie et les mêmes activités, et que leurs enfants fréquentent les mêmes écoles. Il s’agit de lutter contre la ségrégation à travers le bâti, de mélanger les classes sociales, les origines et les générations, afin de favoriser les échanges culturels et harmoniser la vie urbaine. Les gens ne doivent plus rester enfermés dans des étiquettes et des catégories vis à vis de la société. L'objectif est de tuer la reproduction sociale : Les fils d'ouvriers ne doivent pas rester forcément ouvrier.
Le projet éducatif pour la Villeneuve a été élaboré en utilisant l'expérience acquise par le mouvement de l'éducation populaire. Son but est d'installer l'école et les autres lieux de vie (animation,sports et cultures) au cœur de la communauté avec brassage social et ouverture au monde et non comme une institution séparée (tout devient lieu d'apprentissage). L'élève est au centre du système et L’ensemble de ses habitants sont érigés en co-éducateurs . L’autorité des enseignants est limitée au profit d'un épanouissement et d'une mise en valeur individuelle (responsabilisation et citoyenneté) basée sur la confiance et la coopération . Aucune barrière autour des écoles et du collège expérimental , portes toujours ouvertes, salles de classe biscornues afin que les élèves puissent se soustraire au regard des professeurs. Pas de devoirs à la maison,mixages des élèves afin d'aplanir les différences sociales.
Les pionniers
A partir de mai 1972, les 1er habitants débarquent dans le quartier. Des moyens humains considérables sont déployés par la municipalité pour les accueillir. Les professionnels sont partout. Au point qu' une boutade se propage dans les début de de l’installation : « L’animateur est fourni avec l’appartement, et est compris dans le loyer ».
Le « changer la vie « n'était pas qu'un slogan à l'époque. Mai 68 n'est pas loin. Papillons attirés par la lumière, nombreux sont ceux dont le destin oblique vers la Villeneuve. Tout un peuple de militants de gauche s'installe dans le quartier : enseignants, travailleurs sociaux, étudiants, bourgeois en rupture de ban, catholiques sociaux, milieux ouvriers instruits…auxquel se joint une poignée d’immigrés italiens et de réfugiés politiques sud-américains (des chiliens et quelques argentins).Trés impliqués dans la vie de leur quartier, ils se retrouvent dans la multitude d'associations et de comités informels qui se sont créés pour le faire vivre .
Le niveau socio-culturel est assez élevé pour un quartier où prédomine le logement social (70% dans la galerie de l'Arlequin).En 1975, 50% des habitants actifs de l'Arlequin sont des cadres ( dont 1/3 d'enseignants).
Au début des années 1970, c'est le saint-graal de tout ce que la France possédait d'urbanistes, d'architectes, de sociologues ,d'élus et de pédagogues. Les journalistes à travers leurs articles louent les réalisations et les innovations de la Villeneuve.En 1972-73,Le 1er ministre Jacques Chaban-Delmas ainsi que de nombreuses personnalités politiques de droite comme de gauche visitent le quartier en en conservant une impression favorable.
C'est un quartier où la gauche est omniprésente et omnipotente. En 1978, au 1er tour des élections législatives, la gauche emporte près des ¾ des suffrages (PS 44%, PCF 18%, Ecologistes 8%, Extême gauche 3,5%).
Plan du quartier
Les débuts de la Villeneuve
Avant la Villeneuve,un immense terrain occupé par les pistes d'atterrissage occupé par l'ancien aéroport MERMOZ
Hubert Dubedout - maire deGrenoble entre 1965 et 1983 : le commandant en chef et l'initiateur du projet
Travaux d'agrandissement (1975-76)
La Villeneuve (après 1980)
Retour à la réalité
Parallèlement, Villeneuve n’échappe pas aux difficultés économiques qui surgissent après les 30 glorieuses (1945-1975). Mais ce n'est pas là l'unique raison des désillusions.
Dès 1975, les professionnels constatent que la « mixité imposée » et le mélange logements sociaux- copropriétés privées ne réduit pas les disparités de classe sociales et n'amène pas le brassage souhaité. Les premiers à s'évader sont les cadres et les classes moyennes. Peu habitués à vivre dans les grands ensembles, un grand nombre d'entre eux se sont rapidement échappés vers d'autres lieux plus cléments: zones pavillonnaires, centre-ville, campagne. La mixité sociale, sur le papier, c'est très généreux mais à la longue même pour un soixante-huitard aguerri ou quand on a les moyens d'habiter ailleurs, cela devient difficile à supporter.
Dans l'Arlequin,le prix du mètre carré chute dans le secteur privé (mais pas le coût des impôts locaux!)et les bailleurs sociaux remplacent les partants par ceux qui acceptent les logements vacants, en général des populations de plus en plus paupérisées au fil des vagues migratoires : maghrebins, africains, kossovars, afghans,moyen-orientaux,roms et qui se désintéressent du projet d'origine.
Bon nombre de propriétaires habitants se transforment en propriétaires bailleurs.Pas besoin d'être grand clerc pour savoir que les autres grenoblois ne se bousculent pas pour s'installer dans ce quartier. Malgrés des milliers de demandes sur l'agglomération,le temps d'attente pour obtenir un logement social dans le quartier n'est jamais trés long. Au cours de la décennie 1970, L'habitant de Villeneuve coutait 2 fois plus cher au budget communal qu'un autre grenoblois. Mais cela restait dans la moyenne pour tous les nouveaux quartiers des grandes agglomérations.
En 1983, la municipalité bascule à droite et le maire nouvellement élu Alain Carignon arrête les frais , notamment ceux du projet éducatif qui est mis au régime sec (Fin des expérimentations « pédagogistes »au collège). Difficile de quantifier la réussite ou non des projets pédagogiques de la Villeneuve mais cela n'a pas endigué la fuite des enfants des classes moyennes vers l'établissement privé installé à proximité du quartier (Externat Notre-dame)
L'architecture et l'agencement de la villeneuve n'ont pas essaimé. Les objectifs ont changé. Avec la densification actuelle, on construit de nouveau des barres et des tours .Aujourd'hui, on aurait la galerie de l'Arlequin mais sans le parc de 15Ha au mieux une « coulée verte » de surface trois fois moindre . 20 ans plus tard, entre 1995 et 2005,La construction du quartier voisin Vigny-Musset revient à une forme plus traditionnelle d'urbanisme , sous forme d'îlots hausmanniens modernisés avec la prise en compte des contraintes du monde d'aujourd'hui.
L'échec de « l'utopie » Villeneuve est dans le désenchantement de ceux qui avaient mis leurs espoirs de connaître une vie meilleure . L'énergie, les moyens, le courage et l'imagination qui ont été mis au service de ce projet pour un tel résultat , auraient pu être dépensé ailleurs.
L'auteur de ces lignes Pierre Frappat, proche du pouvoir municipal socialiste des années 70 résume bien les désillusions provoquées par ce projet :
sous une forme ou sous une autre, à la fin des années 60,compte tenu de la pression en besoin de logements sociaux,compte tenu du blocage des limites communales,la Villeneuve était probablement inévitable.
N'empêche que si c'était à refaire on ne le referait pas.Et aujourd'hui la priorité est enfin dans l'harmonisation de l'organisme urbain et au sauvetage des quartiers anciens du centre.La Villeneuve a fait perdre 10 ans, s'ajoutant au temps perdu auparavant. C'est peut-être le plus grand tort de la Villeneuve. C'est peut-etre la véritable erreur de ceux qui l'ont voulue...
(Pierre Frappat : Grenoble, le mythe blessé, page 375 - Chapître LA VILLENEUVE DES ILLUSIONS - Edition Alain Moreau 1979)
Les gagnants et les perdants de la Villeneuve ( 1999) - Les investissements immobiliers dans la galerie de l'Arlequin n'ont pas vraiment été à la hauteur