Mai 68 à Grenoble
Le monde étudiant
Mai-1968 à Grenoble comme ailleurs c'est d'abord un grand coup de tonnerre dans une époque bénie des "dieux" de l’économie (les 30 glorieuses 1945 -75): pas de chômage, peu d’inflation, des conflits coloniaux (guerre d’Indochine et d’Algérie) enfin réglés. Mais c’était aussi une grande période d'effervescence avec l’émergence comme nouveaux acteurs qui commence à compter par le nombre : les étudiants.
Pendant la 1ère moitié du XXème siècle, les étudiants étaient peu nombreux et issus à 90% des classes privilégiées de la population. Mais ils ne représentaient pas un acteur politique. Tout change lors des «Trente glorieuses» et de son pendant démographique le « baby-boom »,une génération nombreuse, dont une partie de plus en plus importante suit des études supérieures, élevée dans une ère de progrès permanent et dans un niveau de réel confort. pour qui «demain est toujours meilleur». Une génération pour laquelle tout semble possible.
Grenoble est une des rares villes de France à avoir à l’époque un campus « à l’américaine », excentré à St Martin D’Hères loin du centre-ville. La ville apparaît comme calme. Pourtant dès mars, des troubles ont commencé à apparaître sur le campus. Les étudiants protestent contre des règlements intérieurs contraignants qui limitent l’accès aux résidences universitaires et surtout établissent des barrières distinctes entre les dortoirs pour filles et ceux pour garçons. Ils réclament aussi de meilleures conditions de vie: davantage de bourses, des logements étudiants, moins de précarité dans leurs conditions de vie...loin du caractère révolutionnaire dont veulent imprégner le mouvement étudiant les groupes trotskystes et maoïstes.
Le monde ouvrier
Chez les ouvriers, l'embellie économique des années 60 à Grenoble a créé un terreau favorable aux revendications sociales. Mais les conditions de travail restent très difficiles dans les nombreuses usines de l’agglomération comme Neyrpic (Grenoble), dans les ateliers de montage et de chaudronnerie de la Sogreah , chez biscuit Brun (Saint-Martin-d'Hères), déjà menacé de fermeture, ,chez Lustucru (Grenoble) avec des ouvrières qui faisaient des hépatites chroniques à force de casser des œufs à longueur de journée...", chez Raymond Bouton (Grenoble) qui distribue les plus bas salaires de Grenoble à l’époque .
Depuis 1965, la gauche tient les principaux leviers de pouvoir locaux dans l’agglomération grenobloise. La gauche non communiste a gagné la ville de Grenoble lors des élections municipales de 1965 et les communistes tiennent les 3 plus grosses banlieues depuis 1945 (Echirolles, St Martin d’Hères et Fontaine).
Les évènements de Mai
Les étudiants sont en 1ere ligne en ce mois de Mai à Grenoble. Le 6 mai, 3000 étudiants, à l’appel de l'UNEF manifestent pour réclamer la libération des étudiants arrêtés le 3 Mai à La Sorbonne à Paris. Ce fut le seul affrontement important entre policiers et étudiants à Grenoble, sur la place de Verdun face à la préfecture.
Le 10 mai ce sont près de 5 000 étudiants qui défilent dans le calme à Grenoble.
A partir du 11 Mai , les facs, à commencer par celle de droit, rejoignent le mouvement.
Contrairement à ce qui se passe à Paris, les principaux dirigeants syndicaux et le parti communiste local se déclarent immédiatement solidaires du mouvement et rejoignent dès lors les étudiants. Le 13 mai ils sont rejoints par les syndicats : 15 000 personnes environ défilent dans Grenoble.
Les 20 et 21 mai, services publics et grandes entreprises débrayent. De nombreux sites industriels sont occupées : Neyrpic, Merlin-Gerin, le site chimique de Jarrie.
Les grèves atteignent leur paroxysme en France, avec près de 10 millions de grévistes, l'essence manque, les français inquiets se ruent dans les magasins pour faire des réserves. Mais Grenoble reste calme. Dans les vallées autour de Grenoble, de plus en plus difficilement approvisionnées, l’inquiétude monte et certains sont dans l'expectative d'une guerre civile. Pourtant comme dans le reste de la France la contestation n’aboutit pas. Entre les étudiants exaltés et idéalistes et les ouvriers qui ont des revendications salariales plus terre à terre le courant passe mal, et entraîne le délitement du mouvement. Les partis traditionnels du mouvement ouvrier, d’ailleurs, ne comprendront pas cette révolution qu’ils voient comme un «chahut petit-bourgeois».
Les 25,26 et 27 mai la signature des accords de Grenelle fissurent l'unité syndicale.
Pierre Mendes-France, député de Grenoble depuis 1967, grande figure de la gauche socialiste modérée et ancien président du conseil de la IVème république est à Paris pour soutenir le mouvement au niveau national. Charismatique, il apparaît comme un recours capable de fédérer les contestataires mais ne veut pas prendre la tête d’un mouvement révolutionnaire qui l’inquiète. Il reste muet lors d'un grand rassemblement de la gauche au stade Charléty le 27 Mai, au désespoir de ses partisans. En Juin Il est battu aux élections législatives dans la circonscription de Grenoble par Jean-Noel Jeanneney de 132 voix après avoir été victorieux de 5000 voix un an auparavant contre le député sortant de droite.
Au delà des pavés, la plage...
Le 31 Mai, en réaction à l'ambiance pré-révolutionnaire, la France gaulliste défile à Paris et reprend la main. Des cortèges ont lieu en province, dont Grenoble où 13000 partisans du général de Gaulle se rassemblent le 1er juin.
Pour mai 68 c'est le début de la fin...Les occupations d’usines sont levées début juin tandis que les étudiants inquiets pour leurs examens retournent dans le campus. Grenoble comme l’ensemble du pays, retrouve son calme habituel. Les élections législatives du mois de Juin dans l'Isère suivent le mouvement national. Le raz de marée gaulliste se confirme par l'élection de députés gaullistes et alliés dans toutes les circonscriptions isèroises. Certains ont appelé cela les élections de la trouille. Le français ne voulait de la révolution. La réforme OUI mais la chienlit NON .Dès le début Juillet,les grenoblois comme le reste des français pensent à leurs vacances estivales.
La ville en juin 68 comme toute la France n’aura pas changé en apparence. Mai 68, en ayant permis à la jeunesse de se révolter contre un ordre devenu pesant, va marquer les esprits et accélérer l'évolution des moeurs et de la société dans les années 70. Majorité à 18 ans, contraception, avortement, liberté des médias, volonté de rompre avec le train-train de la société industrielle.
Aujourd’hui, le pouvoir des contraintes sociales n’est pas forcément moins fort qu’en 1968 mais il est de nature différente. Certains piliers y ont largement perdu
comme l’église ou l’Etat...et certains partis politiques implantés depuis des décennies comme le PCF. Quant aux entreprises, surtout les multinationales, elles en sortiront gagnantes.
1968-2018
50 ans après Mai-68, une autre forme de conflit s'impose :
Les gilets jaunes, qui sont l’antithèse de Mai 68.
Le fer de lance des mouvements de Mai 68 correspondait à l’émergence d’un bloc élitaire de masse, à dominante urbaine et diplômé, dans la vie politique et les premières inflexions que les ouvriers occuperaient dorénavant une position secondaire.
Les gilets jaunes marque la résurgence sur le devant de la scène d'un monde populaire où se coagulent des classes sociales jadis antagonistes : ouvriers, employés des secteurs publics et privés, artisans et indépendants, monde rural et peu diplômé désaffilié de toute organisation syndicale, largement opposé au bloc élitaire symbolisé par Emmanuel Macron.
Ce front renversé, à 50 ans d’intervalle, on le voit dans le cheminement d’un homme Daniel Cohn Bendit qui était à 20 ans leader des étudiants et debout sur les barricades et aujourd’hui en 2022 partisan d’Emmanuel Macron…